Sylvie Toupin, conservatrice des collections scientifiques

Sylvie Toupin, conservatrice des collections scientifiques

Il y a de ces moments où l’on se dit qu’on a de la veine de faire ce métier-là. En côtoyant le monde fabuleux des objets de collections, nous faisons l’expérience de capturer un peu plus, chaque jour, des morceaux de l’histoire et de l’humanité.

Dans le cadre de l’exposition Copyright humain, une exposition sur la pensée, j’ai reçu le mandat, en octobre dernier, d’accompagner des objets, en provenance de deux musées français, dans leur parcours jusqu’au Musée de la civilisation à Québec. Ma mission consistait à faire voyager dans les meilleures conditions possibles des pièces de très grande valeur historique parmi lesquelles se retrouvaient le crâne de René Descartes conservé au Museum d’histoire naturelle de Paris et la Pascaline, première machine à calculer de Blaise Pascal, gardée précieusement au Muséum Henri-Lecoq de Clermont-Ferrand.

Je me suis dit dès le départ que cette opération n’avait rien de banal, bien au contraire. Descartes et Pascal, pour la conservatrice des collections scientifiques que je suis, se situent parmi les grands hommes de sciences et de philosophie qui ont marqué l’histoire du monde. J’avoue même avoir eu quelques palpitations à l’idée d’avoir un contact privilégié avec ces pièces constituant aujourd’hui le patrimoine de l’humanité.

Museum national d'histoire naturelle de Paris

Le 26 octobre au matin j’ai rendez-vous au Museum d’histoire naturelle de Paris où m’attends une équipe de conservateurs et de techniciens. Les objets sont déjà installés sur la table de travail. On procède aux constats d’état des pièces ou à l’examen méticuleux des objets pour relever leur état de conservation. À cette étape, nous prenons de nombreuses photos ce qui me donne l’occasion de scruter le crâne de Descartes sous toutes ses « sutures ».

Le crâne de René Descartes. Collection Museum national d'histoire naturelle de Paris.

L’examen du crâne de René Descartes conservé au Museum d’histoire naturelle de Paris.

Ensuite nous procédons à la mise en caisse en s’assurant que les artefacts soient bien stabilisés et sécurisés dans leur écrin de transport. Les caisses sont fermées à clé et entreposées en réserve en attendant leur départ pour Québec.

Le matin suivant, je prends le train de Paris en direction de Clermont-Ferrand où je dois recueillir la Pascaline. Au cours du trajet le paysage se transforme et déjà je vois au loin la silhouette des montagnes et des volcans éteints m’indiquant que nous approchons de l’Auvergne qui s’élève dans le Massif central.

Après deux heures de route, j’arrive à destination et à l’aide d’une carte, je repère le Muséum Henri-Lecoq. Marchant en direction du Musée, je découvre Clermont-Ferrand, une ville calme, pleine de charme où se côtoient traditions et modernité. Soudain un édifice ancien à bannières colorées attire mon regard, il s’agit bien du Museum.

Museum d'histoire naturelle Henri-Lecoq à Clermont-Ferrand.

Muséum Henri-Lecoq de Clermont-Ferrand.

La directrice qui m’accueille m’invite dans son bureau à l’ambiance feutré et chaleureux où nous serons plus à l’aise pour travailler. La rutilante machine à calculer est installée sur son bureau. Avant de procéder au constat d’état et à l’emballage, je m’offre du temps pour l’examiner de près. Avec la directrice nous échangeons des informations sur son histoire, son mode de fonctionnement, sa facture. Ingénieuse machine tout de même. Le constat et la séance de photos terminés, nous signons tous les papiers d’usage et la pièce est enfin prête pour le voyage.

Pascaline. Collection Museum d'histoire naturelle Henri-Lecoq à Clermont-Ferrand.

La préparation de l’emballage de la Pascaline au Muséum Henri-Lecoq.

Je souhaite profiter d’un court moment pour visiter le Musée mais il s’apprête à fermer. J’apprends en cours de discussion que ce très sympathique musée régional abrite de riches collections d’objets ayant appartenu notamment à Louis Pasteur et à Lavoisier, père de la chimie moderne. Je reviendrai….

Mercredi matin, très tôt, nous prenons la route en camionnette avec notre précieux objet en direction de Paris. La directrice du Musée Lecoq est aussi du voyage car elle accompagnera la pièce jusqu’à sa mise en vitrine à Québec. Une fois à Paris, la Pascaline est placée sous haute sécurité dans l’entrepôt de notre firme de transport spécialisée. Nos agents nous livrent les dernières consignes en vue du départ des caisses d’objets par avion le lendemain matin.

C’est le jour « J » et au levée du soleil je quitte l’hôtel avec l’agent de transport pour la cueillette des caisses à l’entrepôt et leur déplacement vers l’aéroport. Je suis amenée à la zone cargo de la compagnie aérienne où je dois assister à la mise en palette des caisses afin d’assurer la bonne manutention du chargement. Lorsque cette opération est terminée, je rejoins mes collègues du Museum d’histoire naturelle de Paris et du Musée Lecoq qui assurent le convoiement jusqu’à Québec. En préparation de l’embarquement, des transitaires nous assistent à travers les étapes et les formalités habituellement requises lors du transport de pièces de musée. Tout est conforme et nous décollons pour 7 heures d’envolée sans trop de turbulences.

À l’arrivée, notre transitaire posté à Montréal nous rejoint et nous guide vers les douanes canadiennes. Quelques tampons et vérifications, puis nous allons récupérer nos caisses qui sont chargées avec soin dans un camion conforme aux transports muséologiques. Notre équipe de convoyeurs suit en voiture le chargement tout au cours du trajet de Montréal à Québec.

En début de soirée, nous arrivons au Musée de la civilisation où les objets sont déchargés et conduits dans une salle de haute sécurité pour un séjour d’au moins 48 heures afin de leur permettre de s’acclimater.

Au déballage nous constatons que le crâne de Descartes, la Pascaline et d’autres artefacts sont tous en bonne condition. Ils ont très bien voyagé. Sous le regard de nos collègues conservateurs les objets sont positionnés dans leur vitrine respective et ensuite sécurisés. Ils sont fin prêts à être vus par le public.

Cro-Magnon et Descartes

Crâne de cro-magnon et crâne de René Descartes. Collections du Museum d'histoire naturelle de Paris - Musée de l'Homme.

Mise en vitrine de la Pascaline

Mise en vitrine de la Pascaline. Collection du Museum d'histoire naturelle Henri-Lecoq, ville de Clermond-Ferrand.

Les conservateurs-convoyeurs sont satisfaits de la mission et avant de nous quitter ils nous laissent sur ces mots « Nous sommes rassurés, nos objets sont en bonne compagnie! »

À travers toute la logistique et la préparation technique que requiert le convoiement d’artefact de Musée, il y a aussi la rencontre avec l’objet, le moment d’intimité et de proximité, véritable tête à tête avec la mémoire du monde.