Les sœurs du Bon Pasteur de Québec ont offert en donation au Musée de la civilisation une sculpture de Louis Jobin qui ornait autrefois le jardin de l’ancienne Maison Généralice, rue de la Chevrotière.

Louis Jobin, sculpteur.

La création de la congrégation

La congrégation des sœurs du Bon-Pasteur est relativement nouvelle dans la ville de Québec. Et même si sa fondatrice, Marie-Josephte Fitzbach, et quelques unes de ses compagnes œuvrent successivement à l’Asile Sainte-Madeleine, rue Richelieu, en 1850, puis à la résidence rue de la Chevrotière, il faudra attendre 1856 avant que la congrégation, connue sous le vocable Les Sœurs Servantes du Cœur Immaculé de Marie, (aujourd’hui congrégation Les Sœurs Servantes du Cœur Immaculé de Marie) ne soit reconnue par l’Église.

La Maison Généralice, rue de La Chevrotière

Suite à la concession d’un grand terrain, l’ensemble des bâtiments de la rue de La Chevrotière fut construit et on y cultiva un potager pour subvenir aux besoins alimentaires des personnes résidentes. En 1908, son Éminence Mgr Louis Nazaire Bégin demande aux religieuses d’entretenir un jardin pouvant servir au repos, à la méditation et aux dévotions. On érigera dans ce jardin un pavillon central, entouré d’arbres, de bosquets et décoré de quatre statues représentant respectivement Sainte-Anne, Saint-Joseph, la Vierge Marie et un ange. Ce jardin construit à l’intérieur des murs sera utilisé jusqu’en 1974 alors que le bâtiment est vendu et que la maison Généralice déménage à Sainte-Foy. Les statues seront alors intégrées aux collections de ce qui allait devenir le Musée du Bon-Pasteur.

Statue religieuse Saint-Joseph, Louis Jobin, Musée du Bon-Pasteur, b.2003.751.1-2.

Statue religieuse. Saint-Joseph. Louis Jobin. Musée du Bon-Pasteur, b.2003.751.1-2.

La Statue de Saint-Joseph

Cette statue de Saint-Joseph qui ornait le jardin de l’ancienne Maison Généralice, rue de la Chevrotière est une œuvre rare signée du sculpteur Louis Jobin.

On sait que cette œuvre fut vraisemblablement sculptée vers 1907 afin d’orner le jardin des Sœurs du Bon-Pasteur. À première vue, on remarque que la tête du saint, qui était maintenue sur le corps de la statue par une baguette et du mastic, fut coupée à la hauteur du cou. La responsable des collections pour la communauté, raconte que la statue fut vandalisée et que, plus tard, lorsqu’un employé trouva une tête semblable chez un antiquaire la communauté l’acheta afin de réparer la statue endommagée. – Après consultation des archives, il m’a été impossible de savoir à quel moment la tête fut coupée. Il n’existe aucune information concernant l’achat de la tête chez un antiquaire. De plus, la responsable confirme que cet événement est antérieur à 1948 année de son noviciat.

J’ai également consulté l’archiviste de la communauté, afin de retrouver des photographies de la statue et/ou du jardin. Malheureusement, il ne semble exister aucun document photographique pouvant nous apporter quelques éléments de réponse. Je ne peux actuellement que présenter cette gravure parue dans le livre du centenaire des Sœurs du Bon-Pasteur nous montrant les bâtiments composant une enceinte fermée d’où émergent la cime d’arbres matures.

Gravure représentant le monastère des Soeurs du Bon Pasteur

Gravure du monastère des Soeurs du Bon Pasteur

Analyse de la statue

D’après la tradition orale, cette œuvre aurait été modifiée par un des employés qui aurait remplacé la tête par une autre. Que faut-il penser de cette intervention?

Afin de vérifier cette hypothèse, je me suis rendu à la maison Généralice des Sœurs du Bon-Pasteur rue Fitzback le 17 novembre 2008 afin de faire quelques vérifications et photographies. Première constatation, cette statue de Saint-Joseph peut être comparée à celle que possède le Musée national des beaux-arts du Québec. Les deux statues présentent un personnage vêtu d’une longue robe et d’un manteau ou cape laissant l’épaule gauche dévêtue. Les deux personnages sont dans la même posture, c’est-à-dire qu’ils ont le bras replié vers le corps et la main gauche déposée sur le cœur. L’autre bras, à angle droit, porte un bâton et un lys blanc (la sculpture des sœurs du Bon- Pasteur a perdu sa main et son bâton). L’œuvre du MNBAQ est polychrome tandis que l’autre est peinte en blanc comme les deux sculptures d’ange que nous avons acquises en 2005, CA2005-017. Les deux sculptures sont signées L. Jobin au bas, à droite

Signature de Louis Jobin au dos de la statue.

Signature de Louis Jobin au dos de la statue. Musée du Bon-Pasteur, b.2003.751.1-2.

Sculpture. Saint-Joseph, Louis Jobin, Musée national des beaux-arts du Québec, 75.385.

Sculpture. Saint-Joseph. Louis Jobin. Musée national des beaux-arts du Québec, 75.385.

La statue des Sœurs du Bon-Pasteur, quelques observations

  • On remarque que la tête est du même bois que le corps de la sculpture et que cette dernière fut probablement sculptée dans le prolongement de la même pièce de bois.
  • À première vue, la peinture d’un blanc jauni semble être la même qui recouvre tant le corps que la tête. La découverte de cette tête chez un antiquaire au moment même où l’on avait perdu celle de la statue du jardin est une coïncidence extraordinaire qui milite en faveur de la thèse de l’appartenance de cette tête à la sculpture.
  • En noir sur ce dessin, on constate le pourtour du cou côté tête. Les pointillés en rouge indiquent le pourtour du cou côté épaules. On voit que la courbe sur l’un des côtés correspond parfaitement.
Croquis du cou de la sculpture.

Croquis du cou de la sculpture de Saint-Joseph par Louis Jobin.

  • Les empreintes du cou sur les deux surfaces sont assez semblables.
  • Certaines fissures vont dans le même sens.
  • La main, le bâton de pèlerin et le lys sont des éléments extérieurs disparus. Ils ont été sculptés et ajoutés à l’ensemble.

Au-delà de l’histoire de l’art

L’intérêt de cette sculpture ne réside pas uniquement dans le fait que ce soit une œuvre de Louis Jobin. Bien au contraire, cette statue fut vénérée par des générations de religieuses et cela même si l’on savait que sa tête avait été coupée et restaurée. Son intérêt ethnologique est à mon avis plus important que sa représentativité artistique. Le jardin monastique est une tradition dont on retrouve les origines au Moyen Âge. Et on en trouve dans toutes les congrégations, il suffit de visiter quelques monastères comme celui des Augustines, des Ursulines, des Sulpiciens et autres, pour se rendre compte de l’importance et de la vivacité de cette tradition au pays.

Ces jardins sont le plus souvent décorés de statues servant à la fois à l’embellissement et aussi à la dévotion. Cette statue a subi les injures du temps. Et pourtant, même si elle fut décapitée, que son bras, son bâton et son lys ont disparu, les religieuses l’ont conservée comme élément important d’une tradition ancestrale reliée à leur dévotion personnelle.

L’expertise du Centre de conservation du Québec concernant l’originalité de la tête de Saint-Joseph est intéressante et vient compléter un aspect historique. Mais les seules vraies valeurs attachées à cet objet sont celles pour lesquelles il fut créé, c’est-à-dire à sa fonction dévote et à la décoration du jardin.

Mentionnons enfin que notre collection est très pauvre en objet de ce genre. Les objets de jardin sont tout bonnement absents de la collection du MCQ et de plus, il n’y a aucune sculpture de Louis Jobin. En contrepartie, le Musée possède une collection de 24 outils, rabots, trusquins, gouges, équerre et boîte à outils, acquis par les Archives nationales en 1979 et qui ont appartenu au sculpteur.

Michel Laurent, conservateur.