Chaque année, le Musée de la civilisation fait restaurer des pièces de la collection nationale par le Centre de conservation du Québec (CCQ). Grâce au travail des restaurateurs, les objets sont transformés et rajeunis. La restauration peut révéler de nouvelles informations ou mener à des découvertes : signature d’un auteur, note ou petit objet caché dans une pièce, couleur originale, etc. Tel est le cas de la peinture David vainqueur de Goliath (nac 1991.635) exécutée par l’artiste Pierre Puget (1620-1694), dont la restauration fut récemment terminée.

Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec. Photographe: Michel Élie.

Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec. Photographe: Michel Élie.

Les tribulations d’un tableau

Cette huile sur toile (206 x 141,4 cm) arrive à Québec par l’entremise des abbés Desjardins en 1820. Par la suite, elle fait partie de la collection d’œuvres du peintre canadien Joseph Légaré pour passer ensuite entre les mains du collectionneur Edward Taylor Fletcher. En 1875, elle sera acquise par le Séminaire de Québec. Cette toile revêt d’autant plus d’intérêt puisque Pierre Puget, artiste marseillais, est surtout connu comme sculpteur. Seulement dix-sept peintures de l’artiste sont répertoriées à travers le monde, dont celle conservée au Musée de la civilisation. Cette dernière est signée et datée au bas gauche sur la base de la colonne : P. Puget. /1671

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Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec. Photographe: Jacques Beardsell.

Parmi les dix-sept peintures qui subsistent de l’artiste, cinq sont attribuées avec certitude, par les spécialistes, à Pierre Puget dont, David vainqueur de Goliath. D’autres œuvres de l’artiste ne sont pas signées et sont tout de même authentifiées à Puget.

Avant la restauration, un premier examen attentif de l’œuvre nous dévoilait une surface irrégulière qui présentait de nombreuses craquelures, soulèvements de la couche picturale, pertes de peinture, saletés et déformation de la toile. Le restaurateur du CCQ, Michael O’Malley, constate que la toile, constituée de trois morceaux, doit être retendue et réparée à certains endroits. Aussi, il relève la présence de plusieurs surpeints et d’un ancien vernis qui doivent être retirés. Un allègement du vernis permettra de raviver les couleurs originales de la peinture. Pour ce faire, à l’aide d’un mélange de solvants à l’éthanol et isooctane, le restaurateur nettoie partie par partie avec un coton-tige, en travaillant seulement sur de petites surfaces à la fois, pour nettoyer l’œuvre et retirer les impuretés. Il effectue un dévernissage de la toile de sorte que les matières solubles comme les vernis se dissoudront, alors que d’autres matières insolubles résisteront aux solvants doux. C’est en effectuant cette opération que le restaurateur s’est aperçu que les lettres de la signature et les chiffres de la date disparaissaient, car ils étaient facilement solubles!

 

Résoudre les mystères d’une toile

Lorsque nous faisons face à ce genre de découverte au cours d’une restauration, une réflexion s’impose avant d’effectuer le retrait définitif d’une partie de l’oeuvre. En consultant des historiens de l’art et en faisant l’examen de cette signature, nous avons constaté que la griffe apposée ne ressemblait pas aux signatures connues de Pierre Puget. Une vérification à l’aide des infrarouges et des tests de solubilité ont confirmé qu’il n’y avait pas une signature plus ancienne cachée sous celle-ci et que la signature et la date située au bas de l’œuvre n’étaient pas authentiques à l’époque de la toile, puisqu’elles s’effaçaient facilement. À la lumière de ces nouvelles informations, il était donc erroné de conserver la signature et la date puisqu’il s’agissait de fausses informations. Auraient-elles été ajoutées lors de restaurations antérieures? Nous l’ignorons!

De concert avec les autorités du Séminaire de Québec, propriétaire de l’œuvre, le Musée a donc décidé de procéder au traitement pour retirer cette fausse signature. Des questions se sont alors posées. Est-ce que la peinture demeurait une œuvre d’époque? Avait-elle vraiment été réalisée par cet artiste?

 

L’enquête se poursuit…

Pour répondre à ces questions, de minuscules échantillons de la préparation de la toile et de la couche picturale ont été analysés par l’Institut canadien de conservation (ICC) dans le but d’obtenir des indications sur la datation de l’œuvre. Le résultat de l’analyse nous révèle que « la composition de la préparation rouge du tableau est semblable à celle des préparations rouges des tableaux de l’École française des XVIIe et XVIIIe siècles. […] La majorité des pigments identifiés sont des pigments traditionnels qui ont été employés depuis l’Antiquité et qui le sont encore de nos jours. La présence de jaune de Naples permet de situer la date d’exécution du tableau plutôt dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. En effet, bien que ce pigment ait commencé à être employé vers 1630, c’est entre 1750 et 1850 qu’il a connu sa plus grande popularité, soit à partir du moment où le jaune de plomb et d’étain a cessé d’être employé et avant que le jaune de chrome et le jaune de cadmium ne fassent leur apparition. » 1

Cette analyse est un élément d’authentification qui nous indique que l’œuvre est peut-être de l’époque de Puget. Voilà comment la science peut nous guider dans l’historiographie des œuvres. Certes, de nouvelles études plus poussées sur cette œuvre par les historiens de l’art éclaireront peut-être ce mystère : Puget, le Marseillais, est-il encore l’auteur de cette toile?

 

Sonia Mimeault

Conservatrice

 

1- Marie-Claude Corbeil et Elisabeth Moffatt, (Laboratoire de recherche analytique, Analyse d’échantillons du tableau « David contemplant la tête de Goliath » pour le Centre de conservation du Québec, Québec, Canada, 06 novembre 2008, Rapport LRA No 4584