Les francophones sont-ils sédentaires ou un peuple migrateur? Depuis les tous débuts de l’émigration française du XVIIe siècle, force est de constater que l’Amérique est un « continent qui bouge », pour reprendre les mots du concept de l’exposition. En effet, depuis la venue des Récollets, des Jésuites, des Augustines et des Ursulines ainsi que des premiers colons Louis Hébert et Guillaume Couillard, les francophones ont toujours poursuivi leur migration sur le territoire Nord Américain. Que ce soit pour explorer et conquérir le territoire, convertir, faire la guerre, chercher du travail, partir en vacances ou subir la déportation ou le grand dérangement imposé par la Couronne, les francophones laissent derrière eux un patrimoine riche et précieux qui témoigne à la fois des phénomènes et des événements constitutifs des identités locales et communautaires, mais aussi d’une identité commune à tous les francophones d’Amérique.

Les quelques 150 objets présentés dans la nouvelle exposition permanente Partir sur la route des francophones (au Musée de l’Amérique française) ont été choisis auprès de 23 collections institutionnelles et privées du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, et des États américains du Maine, du Rhode Island, du Michigan, du Missouri, et du Dakota du Nord. Les collections nationales sous la garde du Musée de la civilisation ont été mises à profit en présentant 51 objets. Les pièces sont principalement de nature ethnologique et sont composées de matériaux très diversifiés (métaux, matières organiques, etc.). On compte aussi quelques peintures, sculptures, photographies, œuvres sur papier, livres, manuscrits et documents d’archives.

Ensemble de baptême et cahier de dessins

Ensemble de baptême et cahier de dessins. Début du 20e siècle Collection Caroline Pease.

Ces objets marquent l’attachement d’une migrante Marthe Grenier Rivard (1911-2009) à ses origines québécoises. Elle s’était établie à Lewiston (Maine) avec ses parents en 1923. Ses enfants ont aussi porté l’ensemble de baptême.

Stéréoscope et cartes. Autour de 1900. Musée de Saint-Boniface, RR-387 et 388.

Stéréoscope et cartes. Autour de 1900. Musée de Saint-Boniface, RR-387 et 388.


Vers le début du 20e siècle, Délima Lanthier achète à Montréal un coffret d’images qui l’aident à imaginer sa future vie dans l’Ouest. L’objet fait le voyage jusqu’au Manitoba, où sa famille s’établit sur un homestead, terre agricole accordée gratuitement ou à faible prix.

Croix des immigrants. Autour de 1900. Initiatives in French Midwest, University of North Dakota Library, don de Richard DuBord.

Croix des immigrants. Autour de 1900. Initiatives in French Midwest, University of North Dakota Library, don de Richard DuBord.


Cette croix fait partie de l’héritage d’Eusèbe DuBord (1850-1930) et de sa famille, établie dans le Dakota du Nord depuis le 19e siècle. Elle témoigne des pérégrinations dans le Midwest des Canadiens français restés fidèles à leur foi.

. Mémoires historiques sur la Louisiane, contenant ce qui y est arrivé de plus mémorable depuis l’année 1687 [...]. François-Benjamin Dumont de Montigny. 1753. Centre de référence de l’Amérique française, QMUCSQ026826.

Mémoires historiques sur la Louisiane, contenant ce qui y est arrivé de plus mémorable depuis l’année 1687. François-Benjamin Dumont de Montigny. 1753. Centre de référence de l’Amérique française, QMUCSQ026826.

Médaille de la famille française. Vers 1932. Collection Stéphanie Auger.

Médaille de la famille française. Vers 1932. Collection Stéphanie Auger. En arrière- plan : photo de la famille Fradin-Ragot (détail). Collection MPR.


Après la Grande Guerre de 1914-1918, la France souligne le rôle des mères de famille et leur contribution au relèvement du pays par une médaille. Française habitant le Manitoba depuis 1893, Stéphanie Fradin-Ragot, qui a donné naissance à vingt enfants et dont les fils aînés ont fait leur service militaire en France, est ainsi décorée.

Vue du claim minier de Georges Demers sur le ruisseau Eldorado dans le bassin du fleuve Klondike. Premier quart du 20e siècle. Huile sur miroir. Musée de la civilisation, don de Jean-Baptiste Doré, 97-134. Photo : réalisée par le Centre de conservation du Québec, Michel Élie photographe.

Vue du claim minier de Georges Demers sur le ruisseau Eldorado dans le bassin du fleuve Klondike. Premier quart du 20e siècle. Huile sur miroir. Musée de la civilisation, don de Jean-Baptiste Doré, 97-134. Photo : réalisée par le Centre de conservation du Québec, Michel Élie photographe.

Georges Demers part pour le Klondike comme bien des Canadiens français attirés par la Ruée vers l’or. Ce tableau, réalisé au début du 20e siècle, illustre le succès d’un groupe d’hommes qui y fait fortune. À son retour au Québec, le chercheur d’or P.-Honoré Doré, qui a travaillé sur le « claim » minier de Georges Demers, ouvre sa taverne Eldorado sur la rue Saint-Joseph. Il fait peindre cette œuvre par un artiste d’art populaire directement sur un miroir installé dans l’établissement.

Tous ces documents et objets avaient aussi pour but de raconter l’histoire des migrants, de se raccrocher à leur quotidiens, sentiments et aux tensions liées au départ. Forts de sens historique, les objets devaient aussi êtres riches d’évocation mémorielle. En visitant l’exposition, la narration (textes écrits ou récités) et le visuel (images et objets) collaborent à une mise en scène dramatique, signée par le concepteur Olivier Dufour. On y capte une expression de détachement, le mouvement et l’établissement. Plusieurs visiteurs se sont dits touchés par ce parcours scénographique et muséographique et les récits de migrants.

Partir sur la route des francophones est une exposition identitaire. Voici quelques images qui vous en donnent un aperçu.

httpv://www.youtube.com/watch?v=_7WUh-41K0U

Vue du passage vers les valises. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Vue du passage vers les valises. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Vue de la chapelle-école. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Vue de la chapelle-école. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Vue arbre argent et orfèvrerie de traite. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Vue arbre argent et orfèvrerie de traite. Photo : Amélie Breton, Perspective.

Le soir de l’ouverture de l’exposition, nous avons tourné une entrevue avec deux collaborateurs : Olivier Dufour et Serge Bouchard.

httpv://www.youtube.com/watch?v=82VSBHG9hvI

httpv://www.youtube.com/watch?v=qxGT8okkYuo

Derrière cet acte d’exposer les récits et les objets dans un parcours, il faut se souvenir qu’un tel projet d’exposition dépasse les frontières du Musée de l’Amérique française. Il se joint aux efforts et aux actions des communautés francophones nord-américaines déployées pour valoriser leur propre identité et leur mémoire collective. Si au Québec, la présence francophone est protégée dans les espaces public, médiatique, politique et culturel, la situation est bien différente dans les autres provinces du Canada et des États-Unis. Cette exposition veut souligner cette présence à la grandeur d’un continent, contribuer à la valorisation de ces identités culturelles distinctes et de leur patrimoine.

La plage, Old Orchard.

La plage, Old Orchard.


Partir sur la route … d’Old Orchard

La préparation d’une exposition présentant des objets venant de l’extérieur du Québec implique souvent des déplacements soit pour le repérage ou le convoiement d’objets. Nous aurions pu nous retrouver à tant d’endroits sur le continent, mais le cheminement du projet nous a emmenés à Biddeford chercher des artefacts liés au travail des francophones dans les moulins à tisser. Après notre visite chez le prêteur et l’emballage des pièces, il nous fallait trouver un hôtel et un endroit où souper. Le prêteur nous annonce alors, sourire en coin, que nous n’étions qu’à 5 miles d’Old Orchard ! Nous avons donc décidé de passer le reste de la journée au bord de l’océan, pauvre conservateur et pauvre technicien en muséologie que nous étions en cette mi-septembre 2009! Portant les « manches courtes », respirant l’air frais de la mer, alors qu’au Québec on avait déjà sorti les « polars ». Il va sans dire que nous avions de bonnes pensées pour nos collègues !

La plage, Old Orchard. Photo : Vincent Giguère.

La plage, Old Orchard.

Nous n’avons malheureusement pas pu faire un tour de manège puisque les attractions étaient fermés… il ne fallait pas pousser notre chance trop loin. Il y aurait eu trop de jaloux! Par respect pour nos collègues, nous avons opté pour les repas de fruits de mer plutôt que la célèbre « Fried dough » qui ressemble un peu à la « queue de castor » chez nous, soit une généreuse pâte frite, un choix plus ou moins santé!

Vincent Giguère, conservateur