Le Musée de la civilisation compte dans ses collections un portrait de Joséphine-Delphine Roy peint par l’artiste d’origine britannique Robert J. Wickenden. Cette œuvre se distingue d’autres portraits du même genre par la documentation substantielle qui existe sur la biographie du sujet et sur la genèse du tableau. Ces deux facteurs réunis ajoutent à la valeur historique et artistique de cette peinture.

Joséphine-Delphine Roy

 

La petite histoire d’un tableau et de son sujet

C’est en 1896 que Joséphine-Delphine Lavigne, devenue madame Roy par les liens du mariage, commande son portrait auprès de Robert J. Wickenden.

Cet artiste, né en Angleterre en 1861 et mort à New York en 1931, commence sa carrière dans sa ville natale de Rochester. Il passera ensuite une grande partie de sa vie en Amérique. Il est peintre, aquarelliste, lithographe et poète. Ses œuvres illustrent diverses thématiques, dont les principaux sujets portent sur les scènes de genre, les paysages et les portraits. Wickenden exposa beaucoup dans les galeries et les grands salons européens et américains, ainsi que dans certaines expositions universelles.

On rapporte qu’en 1896, Wickenden « … fit au Canada un voyage qui influa considérablement sur sa carrière. Il y commença une série de portraits de personnalités notables. Il peignit notamment sir Adolphe Chapleau, gouverneur de Québec; l’honorable S. N. Parent; l’archevêque Bégin; sir Louis Jette; sir William Van Horne et l’abbé Casgrain. Il produisait entre-temps de puissants tableaux traduisant la vie rustique canadienne… » (1) Deux des portraits, énumérés ci-dessus, Louis-Nazaire Bégin et Henri-Raymond Casgrain, font d’ailleurs partie de la collection du Musée de la civilisation.

 

Mais qui est Joséphine-Delphine Lavigne?

Avant de présenter les étapes de la conception du tableau, revenons d’abord sur quelques éléments de la vie de son sujet. Née autour de 1843 et décédée en 1914, nous savons que Joséphine-Delphine Lavigne habita à Burlington au Vermont dans son enfance. Plus tard, elle fréquentera le couvent des Ursulines à Québec. En 1864, elle se marie avec François-Elzéar Roy. Personnalité en vue de la haute société de Québec, ce dernier est « juge de paix, médecin attitré de plusieurs communautés religieuses, consultant à l’asile de Beauport ([…] aujourd’hui le centre hospitalier Robert-Giffard), [dont il] devient le copropriétaire et le surintendant médical en 1866. Pour se tenir au courant de la psychiatrie contemporaine, il visite des asiles aux États-Unis et probablement en Europe. En 1876-1877, Louis Riel compte parmi ses patients. » (2)

Joséphine-Delphine Roy est reconnue pour être une femme d’affaires et une femme du monde : « Elle fréquente les salons francophones et anglophones de Québec et tient elle-même un salon fort couru. » (3) Ainsi, est-elle une des précurseures des jeunes femmes modernes et fait de nombreux séjours en Europe.

Dans un document sur l’histoire de sa famille, Mimi Painchaud Francoeur raconte que sa parente avait le don d’échapper à un destin funeste. Elle écrit : « Chanceuse, elle aurait plusieurs fois évité une catastrophe de justesse : le feu du Bazar de la charité à Paris, sa couturière n’ayant pu terminer sa robe à temps; le déraillement d’un train aux États-Unis, ayant annulé son billet à la dernière minute. La légende veut qu’elle ne se soit pas embarquée à bord du Titanic parce qu’elle ne pouvait pas avoir la cabine qu’elle désirait. » (4)

Joséphine-Delphine Roy n’aura pas d’enfants, mais elle deviendra la mère-substitut de ses deux nièces, Blanche et Alma-Benoît, les filles de sa jeune sœur Délia-Alphonsine. Son fidèle chien Fido aura aussi une grande importance dans sa vie. Elle aime tellement cette bête qu’elle fait reproduire la tête de l’animal, un genre d’armoiries, sur une verrerie commandée sur mesure dans les cristalleries de Baccarat, sur un ensemble de vaisselle commandé aux manufactures de porcelaine de Limoges, ainsi que sur son argenterie et sur sa papeterie. Fido fut donc immortalisé lui aussi comme sa célèbre maîtresse! Wickenden en tiendra compte dans les étapes de création du portrait.

 

Des traces du travail de Wickenden

 

Dessin préparatoire

 

En vue de l’exécution du tableau, Wickenden fait un travail préparatoire. Ainsi, un magnifique dessin exécuté à la mine de plomb est transmis à madame Roy en décembre 1896. Qui plus est, ce dessin est accompagné d’une lettre signée par l’artiste qui nous permet d’apprécier ses qualités de poète. Sur ce dessin, réalisé au verso d’un papier à lettres avec les armoiries du chien Fido, on peut y lire une inscription de la main de l’artiste : « Première Pensée pour le Portrait de Madame Roy, Rbt. Wickenden Québec, 21 Déc. 1896. » On sent une certaine obligation de la part du peintre d’illustrer les armoiries immortalisant le chien de sa cliente.

 

 

 

La pose du sujet est déjà travaillée et a été conservée sur la peinture finale. La portraiturée est présentée vêtue d’une robe de bal, vue de trois quarts, le regard fixé vers le spectateur. Il est intéressant de noter que contrairement à l’esquisse, le modèle est peint en buste et que finalement, le chien ne se retrouve pas sur l’œuvre finale.

Un dessin préparatoire est une forme de recherche préalable. Il permet à l’artiste de conceptualiser la pose avant d’exécuter l’œuvre finale. Il est d’autant plus fascinant de voir le traitement du dessin en noir et blanc comparé à la peinture qui nous offre un traitement en couleur pour la même représentation, soit avec deux médiums différents.

Détail de la signature de Wickenden

Bien que cette peinture de Wickenden, datant de 1897, ne soit pas conservée dans son cadre d’origine, elle n’en demeure pas moins une œuvre très intéressante par la qualité de son rendu. Le jaunissement du vernis, trahissant une forme ovale, nous laisse croire que l’huile de Wickenden était, antérieurement, présentée dans un autre encadrement. Tous deux d’une grande facture, ces œuvres illustrent le portrait d’une grande dame excentrique de Québec qui fait partie du magnifique fonds de la famille Painchaud de Québec acquis en 2003 par le Musée de la civilisation.

Les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur la biographie de Joséphine-Delphine Roy peuvent consulter les pages du site web Nos racines qui lui sont consacrées.

 

1-    Bénézit, Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays/par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers, Nouvelle édition entièrement refondue sous la direction de Jacques Busse, Tome 14, Paris, Gründ, 1999, p. 590.

2 – 3 – 4 –    Painchaud Francoeur, Mimi, La famille Painchaud (de Québec). Deux siècles de mémoire. 2001, troisième édition, p. 133, 134 et 138.