Quand j’ai annoncé à mon entourage que je partais en mission en Haïti, plusieurs ont cru que j’allais faire de l’aide humanitaire. C’est plutôt pour explorer l’art contemporain haïtien que je me suis rendue à Port-au-Prince l’automne dernier. Les conservateurs du Musée de la civilisation effectuent plusieurs types de missions à l’étranger en lien avec les projets d’expositions : évaluation de potentiel d’un sujet d’exposition, sélection d’objets et convoiement d’objets. Ma récente mission entrait dans la première catégorie.

Mon séjour coïncidait avec le 6e Forum transculturel d’art contemporain de Port-au-Prince, organisé par la Fondation AfricAmericA. Onze artistes internationaux, assistés d’artistes haïtiens, disposaient d’une semaine pour réaliser une œuvre. Des tables rondes, conférences, visites guidées, vernissages et performances complétaient la programmation autour de laquelle s’est construit mon horaire. La semaine a été bien remplie!

J’ai rapidement pris conscience que mes repères nord-américains n’étaient pas adéquats pour aborder l’art haïtien. La polarisation de la richesse, l’influence vaudou et la perméabilité entre l’art et l’artisanat sont quelques-uns des facteurs qui façonnent un contexte artistique très différent du nôtre.

 

Photo : Lydia Bouchard

J’ai été particulièrement impressionnée par les manifestations d’art populaire. Lors de mes déplacements dans la ville, j’aimais observer les tap-tap (camionnettes transformées pour le transport en commun) aux couleurs éclatantes et les étalages savamment organisés des petits vendeurs en bordure des rues.

 

600 artisans et artistes au travail à Croix-des-Bouquets : imaginez la musique! Photo : Lydia Bouchard

Parmi les foyers de création des milieux populaires, Croix-des-Bouquets se distingue par sa production de métal découpé. Depuis six générations, des artisans produisent des pièces artisanales à grande échelle, tandis que des artistes créent de véritables œuvres d’art uniques. Croix-des-Bouquets comprend aussi deux temples vaudou dont les murs intérieurs sont ornés de peintures représentant des divinités vaudou prenant l’apparence de saints catholiques, pour contourner une interdiction de pratiquer le vaudou dans le passé.

 

Temple vaudou à Croix-des-Bouquets

Le Forum m’a donné accès à des lieux où je n’aurais pas pu me rendre seule pour des raisons de sécurité. Alors que je me suis déplacée toute la semaine en 4X4, avec un chauffeur, pour atteindre les ateliers d’artistes de la Grand rue, j’ai marché dans un bidonville. J’ai vu l’arrière du décor : des enfants souriants et excités par notre présence, des femmes préparant de la nourriture, etc. Au terme d’un parcours labyrinthique, j’ai découvert des sculptures très expressives façonnées à partir de divers matériaux récupérés.

C’est dans le réseau plus officiel des galeries que je me suis familiarisée avec la tradition de la peinture naïve qui a fait connaître l’art haïtien à l’extérieur du pays à partir des années 1930-1940. C’est aussi dans les galeries que j’ai pu voir une production artistique qui correspond à notre définition de l’art contemporain, c’est-à-dire un art qui en plus d’être réalisé aujourd’hui, est réputé novateur par les intervenants du milieu de l’art. Les œuvres de certains de ces artistes circulent dans les grandes manifestations internationales, telle la Biennale de Venise qui a d’ailleurs accueilli un pavillon d’Haïti pour la première fois en 2011. Des artistes de la Grand rue y étaient aussi représentés. Les galeries s’ouvrent elles-mêmes de plus en plus à la production artistique d’origine populaire.

Pour en découvrir plus sur le pavillon d’Haïti à la Biennale, visionnez cette vidéo de l’Institut français.

En Haïti, il n’existe pas de musée public dédié à l’art. Les grandes collections d’art haïtien sont privées et, malheureusement, le Musée d’art du Collège Saint-Pierre et le Musée Nader sont fermés depuis le séisme de 2010.

Le bilan de cette mission est très positif. J’ai constaté la vitalité de l’art en Haïti, sa dimension sociale, ainsi qu’une ouverture à collaborer. Sur le plan personnel, la rencontre de gens déterminés à améliorer le sort de leur pays malgré toutes les embûches m’a donné une grande leçon de courage. Être conservateur est passionnant car nous sommes constamment amenés à élargir notre vision du monde, notamment par le biais de missions à l’étranger.

 

Pour voir des œuvres d’art haïtien :

Ateliers Jérôme

Galerie Marassa

Galerie Monnin

Galerie Nader