Spring Exhibition at the Art Gallery, Montreal. Old French-Canadian Auction Sale, par Henri Julien, 1892, reproduction d’une oeuvre. Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, 1993.16547

 

Le métier de crieur public est connu depuis l’antiquité et s’est perpétué jusqu’à nos jours. À l’époque du moyen âge, cette profession était règlementée, le rôle du crieur étant de diffuser les ordonnances royales auprès de la population et d’annoncer les différents commerces. D’un pays à l’autre, il existe différents types de crieur : le crieur public ou de rue qui colporte des nouvelles, le crieur des morts ou le crieur de corps, le crieur et vendeur de journaux, le crieur de vin et le crieur de ventes aux enchères, que ce soit de l’œuvre d’art au marché de l’alimentation. De même, dans certaines villes africaines, le crieur a été remplacé par un véhicule sonorisé et, plus récemment, on y retrouve l’original crieur de baleine (vidéo sur YouTube!) dont la fonction est de surveiller et d’annoncer l’arrivée des baleines pour en faire l’observation.

Spring Exhibition at the Art Gallery, Montreal. Old French-Canadian Auction Sale, par Henri Julien, 1892, reproduction d’une oeuvre. Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, 1993.16547

 

En l’an 1416, Paris recense vingt-quatre membres faisant partie de la corporation des crieurs; à cela s’ajoutent les crieurs publics, payés par l’administration royale et les crieurs privés qui sont engagés par des particuliers. Le mandat du crieur était d’annoncer les messages des autorités et de transmettre diverses informations auprès des habitants qui ne savaient pas lire. Le crieur déambulait dans les rues, s’arrêtait à certains endroits, dont les places publiques, en annonçant sa présence par un bruit sonore, tel que : cloche, clochette, clairon, trompette ou tambour. Lorsqu’il passait, les habitants venaient se rassembler autour de lui pour écouter ce qu’il avait à dire.

 

C’est souvent juché sur un piédestal, banc, tabouret, etc., que le crieur ou la crieuse s’exécutait, « Doué d’une forte voix […] se tenant le corps bien droit, les bras tendus vers l’avant à pleine extension pour tenir son document, et la tête projetée vers l’arrière pour lancer sa voix aussi loin que possible. »1 et d’entendre « Oyez! Oyez! Bonnes gens! » ou « Attention! Attention! C’est pour vous faire à savoir… »2 Il est intéressant d’apprendre que « Oyez » vient du verbe « ouïr », conjuguez à l’impératif présent, qui signifie écouter, entendre.

 

Nous retrouvons un bel exemple, qui illustre bien le métier de crieur, dans le magnifique fonds de la famille Painchaud de Québec, acquis en 2003 par le Musée de la civilisation. Ce corpus historique représente 1m38 d’archives couvrant la période du XVIIIe au milieu du XXe siècle, présentant et témoignant de l’actualité de trois siècles d’histoire du Canada.

 

L’histoire de la famille Painchaud débute au Québec lorsque François Painchaud (1721-1812), natif de Saint-Pierre-de-Vains en France, s’installe à l’Ile-aux-Grues en 1754, alors âgé de trente-trois ans. Avec sa femme, Marie Nuirat (1740-1817), ils auront onze enfants. Joseph Painchaud (1787-1871), leur petit-fils, natif de Québec, devient un éminent docteur. « Membre influent des plus importantes associations médicales de la province, Joseph Painchaud jouit d’un grand prestige et contribua largement à l’évolution et au développement de la médecine canadienne. Soulager les malades, améliorer l’enseignement de la médecine, créer et développer des institutions hospitalières, telles furent ses préoccupations quotidiennes. »

 

Portrait en miniature de Geneviève Parant Painchaud (1789-1859), par Gérôme Fassio (1789 c-1851), vers 1837, aquarelle et gouache sur papier. Musée de la civilisation, fonds famille Painchaud, 2003-608

En 1815, le docteur Joseph Painchaud épousa Geneviève Parant (1789-1859). Personne pieuse et charitable, visitant les pauvres, elle fut un membre dynamique de la Société d’éducation de Québec qui, à un moment où il existait peu d’écoles élémentaires, s’intéressait à la mise sur pied d’écoles publiques et gratuites. Le 17 mai 1859, quelques jours avant son décès, Geneviève Parant rédigea son testament auprès des notaires Langevin et Sirois. Dans ses dernières volontés, elle stipulait le souhait qu’un crieur public annonce son décès en prenant bien soin de spécifier: une criée pour la Basse-Ville et une criée pour la Haute-Ville.

 

Reçu du crieur Edouard Daigle, adressé au docteur Joseph Painchaud, 20 mai 1859. Musée de la civilisation, fonds famille Painchaud.

« …Au moment où elle est « malade de corps », mais saine d’esprit, mémoire, jugement & entendement ainsi qu’il est apparu à nous dits notaires […] faire son testament et disposition de ses dernières volontés, dans la vue de la mort dont elle est incertaine de l’heure […] je veux et entends en outre qu’un crieur public annonce au son de la cloche par les rues dans les faubourgs St. Jean, St. Roch, invitant les pauvres et les riches à assister à mes funérailles et services, afin qu’ils prient pour le repos de mon âme,… »3

 

 

Conservés à l’intérieur du fonds de la famille Painchaud, on retrouve le testament original de la défunte, mais également un document singulier faisant foi que la volonté de Geneviève Parant fut faite le 19 mai 1859. Il s’agit du reçu adressé au docteur Painchaud, signé et daté de la main d’Édouard Daigle, crieur public. Les frais sont de 1 livre pour service rendu.

 

La criée, par Thérèse Sauvageau (1915- ), 1977, huile sur toile. Musée de la civilisation, donation Thérèse-Sauvageau.

Pendant longtemps, même au Québec, chaque dimanche on assistait à une criée sur le perron de l’église. Certaines églises européennes très anciennes ont conservé leur pierre à bannir, petit escalier qui ne mène nulle part, adossé au mur de l’église où le crieur se perchait pour y faire ses annonces.

 

L’avènement des journaux et plus tard des technologies, comme la radio et la télévision, ont amené le déclin du crieur public voire presque sa disparition dans les années 1960. Heureusement, dans plusieurs pays, la vocation de crieur a pris un nouvel essor depuis une trentaine d’années. À tel point qu’en France l’engouement est tellement grand, que l’on en retrouve dans plusieurs villes et villages depuis les dix dernières années. La majorité sont des comédiens de formation qui, habillés à l’ancienne, adoptent le rôle de crieur public.

 

Déposés dans des boîtes, les messages des habitants sont par la suite criés : annonces, ventes, déclarations d’amour, poèmes, invitations, etc. Selon les endroits, les criées sont présentées sur une base régulière, hebdomadaire ou mensuelle. L’objectif est de transmettre les messages de la population, d’interpeller, de dialoguer avec les citoyens et de rendre les quartiers vivants.

 

Certes, les médias sociaux d’aujourd’hui, comme Facebook sur Internet, nous permettent de transmettre des nouvelles auprès de nos amis virtuels, d’étaler nos états d’âme, nos pensées, nos joies, nos peines et nos haines. Cet espace public nous donne le droit de nous exprimer ; c’est une façon de diffuser information et publicité. À l’instar de ce réseau social, le crieur a le privilège de communiquer des messages ou de discourir sur divers sujets. Au contraire des médiums électroniques, il met de l’humanité dans les textes et les nouvelles. Le crieur crée un point de rencontre suscitant un lien social simple et direct. Il n’est ni plus ni moins qu’une forme conviviale de communication.

 

Au Canada, dans l’Outaouais (Gatineau), nous retrouvons un célèbre crieur, Daniel Richer dit La Flèche, récipiendaire de nombreux prix dans les championnats internationaux. D’un niveau professionnel, il pratique son métier de conteur, crieur et acteur depuis plusieurs années. Plus près de nous à Québec, nous avions un grand animateur de radio et crieur public, Rémy d’Anjou, décédé en 2010. Ce denier était anciennement crieur dans le cadre des Fêtes de la Nouvelle-France. De plus, lors d’un concours international de crieurs publics qui se tenait à Halifax, il avait représenté la ville de Québec où il avait mérité la première place de crieur à la voix la plus puissante.

 

Mis à part les concours et les championnats (Guild of Town Criers et The Ancient and Honourable Guild of Town Criers10, il existe des formations pour devenir crieur.

Devenir le meilleur crieur public du monde ça vous intéresse ?

 

Références :

1 et 2 – Pomerleau, Jeanne, Métiers ambulants d’autrefois, Montréal : Guérin littérature, c1990, p. 347

3 – Extraits du testament de Geneviève Parant, 17 mai 1859. Musée de la civilisation, fonds famille Painchaud.

Autres références :

Le retour du crieur public

Les crieurs et marchands ambulants de la rue médiévale