Comme archiviste de référence, je reçois des demandes de toutes sortes. En voici deux.

Une fois, en lien avec notre exposition virtuelle des tableaux ornithologiques de Jean Jacques Audubon, une femme m’a demandé ce qu’il fallait donner à manger aux mésanges (comme celle-ci, magnifique, dessinée par Audubon), qui gaspillaient trop du mélange de graines qu’elle leur donnait! (La réponse : du suif et des graines de tournesol.)

Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, The Birds of America, John James Audubon, 107/1993.34708

Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, The Birds of America, John James Audubon, 107/1993.34708

Avec le 400e anniversaire de Québec en 2008, on a reçu notre lot de demandes aux archives. Quelqu’un a même demandé si nous avions la signature de Samuel de Champlain. On s’est regardé, mes collègues et moi, et nous nous sommes dit « Si on l’avait, on le saurait déjà ». Néanmoins, j’ai vérifié dans le fichier juste pour être certain. Je pensais peut-être trouver un fac-similé. Ce que j’ai trouvé m’a surpris.

Il y avait la description d’un document daté du 15 mars 1619, signé par Champlain et trois « autographes » de Champlain! J’ai noté la cote du document et me suis dirigé tout de suite vers la réserve des documents d’archives, excité, mais un peu sceptique. Une partie de moi s’attendait toujours à trouver un fac-similé. Ce que j’ai trouvé a été plus surprenant encore.

Là, en tête du document en question, étaient écrits deux mots qui m’ont coupé le souffle. Ces deux mots sont « Fairfield, Connecticut ».

Musée de la civilisation, fonds d'archives du Séminaire de Québec, Lettre de James Osborne Wright à Philéas Gagnon, 4 mai 1908, Polygraphie 35, no. 7a.

Musée de la civilisation, fonds d'archives du Séminaire de Québec, Lettre de James Osborne Wright à Philéas Gagnon, 4 mai 1908, Polygraphie 35, no. 7a.

Ce ne sont probablement pas les deux mots les plus surprenants pour vous, chers lecteurs, mais pour moi, c’était tout autre chose. Il s’agit, en effet, de ma ville natale.

Mais qu’est-ce que la signature de Champlain avait à voir avec ma ville natale, ou vice-versa? Je sais que les explorations de Champlain l’ont mené à Cape Cod, dans l’état actuel du Massachusetts, mais qu’il n’a pas continué au Connecticut, plus au sud. Intrigué, je sortis ce document et quelques autres du dossier, me mettais à les lire et à faire des recherches sur ce que j’avais trouvé.

Les documents en question étaient des lettres envoyées à un certain « P. Gagnon » par « J.O. Wright » en 1908. Le premier, Philéas Gagnon, était un célèbre bibliophile du Québec. Son interlocuteur, James Osborne Wright, était « importateur de livres et d’illustrations de livre » à New York, avec sa résidence d’été à Fairfield, distante de la métropole d’une heure, environ.

Gagnon s’est souvenu d’une conversation qu’il avait eue avec Wright plusieurs années d’auparavant. Ce dernier lui avait dit qu’il possédait un document qui portait la signature de Champlain. C’était le tricentenaire de Québec, et Gagnon voulait ce document.

Cependant, il y avait des problèmes du côté du marchand de livres. D’abord, il ne se souvenait plus de quel genre de document il s’agissait, « Je ne suis pas du tout sûr d’avoir dit lettre…J’avais une signature de Champlain, et ça ne m’importait pas si c’était le reçu pour une douzaine d’œufs ou pour tout l’Acadie ». Qui plus est, il n’avait pas vu ledit document en 25 ans. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il se trouvait quelque part dans une boîte de déménagement à Fairfield.

Un autre problème, beaucoup plus grand, empêchait Wright de vendre le document à Gagnon : la peur. Le document en question n’était pas la propriété de Wright, et ce dernier avait peur de la colère du propriétaire légitime : sa femme!

Wright craignait non seulement d’entendre parler de la transaction le reste de sa vie, mais aussi du vrai coût du document. Il a écrit à Gagnon, « si je le prends de ma femme, je serai obligé de lui donner quelque chose en retour qui en vaut le double! » La vraie négociation n’était pas entre Wright et Gagnon, mais entre Wright et son épouse.

Éventuellement, Wright a décidé de vendre le document à Gagnon. Bien qu’il ait dit plusieurs fois qu’il n’avait pas besoin de l’argent de cette vente, Wright a reconnu la valeur que ce document avait à Québec en 1908. Il écrivit à Gagnon, « J’espère que le [document de] Champlain sera apprécié lors de cet anniversaire ».

Et le prix de la transaction? Le seul document connu en Amérique du Nord avec la signature de Champlain s’est vendu pour cinquante dollars! En 1910, Gagnon a vendu son impressionnante collection de canadiana – incluant le document avec la signature de Champlain – à la ville de Montréal. C’est la base de la collection de la Grande Bibliothèque, maintenant partie de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Et nous, avons-nous la signature de Champlain? Nous avons bien trois documents signés à son nom, mais ce sont des fac-similés. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de dire par qui, quand ou comment la « reproduction » a été effectuée.

Musée de la civilisation, fonds d'archives du Séminaire de Québec, reproduction de la signature de Champlain, s.d., Polygraphie 35, no. 7.

Musée de la civilisation, fonds d'archives du Séminaire de Québec, reproduction de la signature de Champlain, s.d., Polygraphie 35, no. 7.

Pour en savoir plus sur Champlain : vivez l’expérience Champlain retracé au Centre d’interprétation de Place Royale et visionnez les documentaires de tournage réalisés par l’ONF.